Les vieilles du hameau

A ma fille Divine


L’une après l’autre elles s’en vont, les bonnes vieilles au fuseau, l’une après l’autre elle s’en vont, toutes les vieilles du hameau.


Tu ne reverras plus tante Marie ni tante Lise, ô ma Divine, ni tant d’autres en coiffe blanche du dimanche ou bien en penn-du de laine de la semaine, tu ne reverras plus ces mères-grand au long châle de deuil qui souriaient à ta chair de féerie sur le seuil après avoir, grêles marraines au dos de cerceau souri sur les gazouillements premiers de ton berceau d’osier, tu ne reverras plus ces candides anciennes que derrière la pesante croix d’argent viennent d’emporter au cimetière entre des planches quatre braves gens. Elles avaient une âme douce de brebis ces aïeulettes du pays qui t’apportaient du lait, du miel, des oeufs, le far des fêtes, le gâteau de la grand-messe, le bouquet de la Saint-Pierre et le bouquet de la Saint-Jean, et t’élevaient parmi leurs bras de vieille vigne pour à l’aurore de tes joues baiser de l’espérance et cueillir de la vie, tu ne les reverras plus, mignonne, mais elles hanteront à l’infini le pré béni de ta mémoire, tirant par l’attache la vache qui fut leur fortune avec le champ de pommes et le champ de blé noir dont on fait le gros pain rond à pâte brune. A la longue, malingres comme des jouets, elles s’en sont allées, mères de gas éparpillés sur les mers jaune, blanche, rouge, noire, bleue, elles s’en sont allées dans un hoquet, tuées par quelque bise et lestées d’une hostie, elles s’en sont allées sans le baiser de leurs petits, dans un linceul de toile bise, elles s’en sont allées vers le bon Dieu qui leur a mis des ailes aux épaules et puis des robes d’or et puis des doigts tout roses pour jouer de la lyre en dansant sur la lande aux étoiles, fleurs d’ajonc des cieux.

L’une après l’autre elles s’en vont les bonnes vieilles au fuseau, l’une après l’autre elles s’en vont toutes les vieilles du hameau.


(Pendant l’enterrement de tante Lise, 

hameau de Lanvernazal, Roscanvel, 23 mai 1900)